Popularisée dans le cadre de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), la double matérialité est un concept phare du reporting de durabilité. Plus complète que la simple matérialité financière, elle permet aux entreprises de mieux identifier leurs enjeux de durabilité prioritaires. Cet article revient sur la définition de la double matérialité et sa place au sein de la CSRD. Vous y retrouverez également un guide pour réaliser une analyse de double matérialité en 4 étapes.
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Qu’est-ce que le concept de double matérialité ?
Le concept de double matérialité renvoie à une méthode permettant à une organisation d’identifier les enjeux de durabilité importants vis-à-vis de ses activités. D’abord introduite implicitement dans le cadre de la NFRD (Non Financial Reporting Directive), la double matérialité est aujourd’hui l’une des pierres angulaires de la directive CSRD. En conduisant une analyse de double matérialité, les entreprises déterminent les enjeux à inclure dans leur rapport de durabilité.
En fonction du résultat de leur étude, elles identifient également les exigences de publication qu’elles doivent satisfaire lors de leur reporting. Si la double matérialité a été introduite assez récemment, elle ne constitue pas la seule approche visant à définir les enjeux de durabilité d’une entreprise. En effet, l’univers ESG (environnement, social, gouvernance) utilise depuis des années une autre approche : la matérialité financière, aussi appelée matérialité simple.
Définition de la matérialité simple : une approche « outside-in » concentrée sur les incidences financières
La matérialité simple est un concept emprunté au système financier. Elle permet à l’origine d’identifier quelles informations comptables peuvent avoir un réel impact sur la performance financière d’une organisation. Lorsqu'elles sont jugées significativement pertinentes et importantes pour caractériser les états financiers d'une organisation, on dit que ces informations sont « matérielles ». Elles peuvent alors influencer les décisions stratégiques des parties prenantes.
Aujourd’hui, la matérialité simple est un concept phare du reporting ESG. L’immense majorité du temps, ce terme renvoie à l’approche de matérialité financière, notamment utilisée par l’ISSB (International Sustainability Standards Board). Dans ce contexte, la matérialité simple consiste à déterminer quels sujets de durabilité ont un impact financier sur une entreprise.
On étudie donc les impacts internes provoqués par des facteurs extérieurs (outside-in). L’analyse de matérialité financière sert notamment à mettre en lumière l’exposition des organisations aux conséquences du changement climatique.
Définition de la double matérialité : une approche étendue à l’impact des entreprises
La double matérialité permet d’identifier les sujets de durabilité importants du point de vue financier, mais aussi du point de vue de l’impact. Elle complète ainsi la matérialité financière, en prenant en compte les conséquences des activités de l’entreprise sur la population et l’environnement. Cette seconde approche s’intéresse donc aux impacts extérieurs provoqués par des facteurs internes (inside-out). La matérialité d’impact concerne toutes les incidences, positives ou négatives, réelles ou potentielles, à court, moyen ou long terme.
Sont prises en compte les opérations menées par l’organisation elle-même, ainsi que l’impact de ses produits et services. L’ensemble des activités situées tout au long de la chaîne de valeur ou encore les relations commerciales de l’entreprise entrent également en compte. Tout sujet de durabilité important du point de vue financier ou de l’impact est ainsi jugé matériel pour l’entreprise réalisant l’analyse.
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Matérialité simple vs double matérialité : quelle est la meilleure approche ?
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Ces dernières années, d’autres termes ont émergé autour du concept de matérialité dans le reporting ESG. On peut ainsi entendre parler de matérialité dynamique, ou encore de nested materiality et de core materiality. Si différents acteurs peaufinent leur propre vision de la matérialité, la matérialité simple et la double matérialité constituent aujourd’hui les deux approches principales.
Souvent opposées, la matérialité financière et la double matérialité font l’objet de débats parfois tendus. L’ISSB, créée par la fondation IFRS (International Financial Reporting Standards), défend la matérialité financière. À l’inverse, l’Union européenne, à travers l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), cherche à imposer la double matérialité.
Aujourd’hui, la majorité des acteurs de la transition semble se ranger du côté de la double matérialité. Plus complète que la matérialité financière, elle répond à plusieurs de ses limites. En 2024, la Chine choisit également la double matérialité, lorsqu’elle dévoile ses propres standards de durabilité : les CSDS (Chinese Sustainability Disclosure Standards). Voici ce qu’il faut retenir sur les inconvénients de la matérialité simple et sur les positions des organismes de référence en matière de durabilité.
En quoi la double matérialité pallie les limites de la matérialité financière ?
Encore utilisée par de nombreuses entreprises, la matérialité financière peut se révéler utile. Mais il est aujourd’hui assez clair qu’elle demeure insuffisante pour effectuer un reporting ESG efficace. En effet, la matérialité simple permet d’ignorer de nombreuses informations et enjeux pourtant cruciaux d’un point de vue environnemental ou social. Par exemple, une entreprise peut estimer que l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre a une incidence peu significative sur sa performance financière.
Le concept de matérialité simple l’autoriserait ainsi à exclure de son reporting ESG les données concernant ses propres émissions. Une analyse de double matérialité, à l’inverse, inclut les sujets de durabilité sur lesquels l’entreprise à un impact. Or, il paraît impossible de prouver que les activités directes ou indirectes d’une société n’émettent aucun gaz à effet de serre. Dans ce contexte, le bilan carbone de l’organisation doit impérativement être publié dans son rapport ESG.
Le niveau de transparence imposé aux sociétés constitue une autre différence majeure entre la matérialité simple et la matérialité double. En exigeant que les entreprises communiquent sur tous les enjeux ESG associés à leurs activités, les investisseurs et autres parties prenantes sont mieux informés. L’ensemble de ces acteurs peut ainsi prendre des décisions éclairées, notamment en choisissant des investissements plus verts, dans la lignée des objectifs du Green Deal.
Plus largement, la double matérialité lutte activement contre le greenwashing et responsabilise les sociétés. Les entreprises publient leurs impacts, positifs comme négatifs, rendant ainsi leurs propres engagements et revendications vérifiables.
La position de la Global Reporting Initiative : priorité à la matérialité d’impact
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La matérialité dans le reporting ESG a initialement été introduite par la GRI elle-même en 2006, dans sa publication Sustainability Reporting Guidelines (V3). À l’époque, le concept est très proche de celui de la double matérialité d’aujourd’hui. Mais à partir de 2011, une mise à jour de ce guide rapproche fortement son modèle de la matérialité financière. C’est finalement cette nouvelle version qui sera retenue et utilisée par la majorité des organisations.
Les standards GRI défendent aujourd’hui une approche de la matérialité limitée à la matérialité d’impact. L’organisation précise cependant que la majorité des sujets matériels du point de vue de l’impact présentent ou présenteront également des risques ou opportunités financières. Plus largement, la Global Reporting Initiative a un positionnement plus nuancé sur le débat opposant l’EFRAG à l’ISSB.
Dans un article consacré au débat sur la matérialité, la GRI défend l’utilité des deux approches, tentant d’apaiser les tensions. Elle déclare ainsi que la matérialité financière est particulièrement utile aux investisseurs, tandis que la double matérialité s’adresse à l’ensemble des parties prenantes.
Malgré son impartialité apparente, on devine cependant facilement la préférence de l’organisation pour la double matérialité, à la lecture de l’article. Si elle reconnaît officiellement les qualités des deux matérialités, la GRI prône en parallèle la création d’un unique ensemble de standards de reporting ESG.
Double matérialité et directive CSRD : quelles entreprises sont concernées ?
Toutes les entreprises qui entrent dans le champ d’application de la directive CSRD sont tenues de faire une analyse de double matérialité. En 2025, les sociétés qui étaient déjà concernées par la NFRD doivent publier leur premier rapport de durabilité. Elles sont donc les premières à avoir réalisé une analyse de double matérialité pour déterminer les informations ESG à inclure dans ce document.
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En l’attente d’une décision des colégislateurs, la directive « Stop-the-clock » reporte le premier reporting des entreprises de vagues 2 et 3. Les grandes entreprises européennes de vague 2 devraient désormais réaliser leur premier rapport de durabilité en 2028 sur l’exercice 2027. Les PME cotées, elles, devraient publier leur premier reporting CSRD en 2029 sur l’exercice 2028, en même temps que les entreprises de vague 4.
Le texte d’origine de la CSRD étend cependant l’obligation de réaliser une analyse de double matérialité et de publier un rapport de durabilité à davantage de sociétés. D’autres grandes entreprises européennes (vague 2) sont concernées, dès lors qu’elles dépassent l’un des deux seuils suivants :
- Un bilan total de 25 M€ ;
- Un chiffre d’affaires net de 50 M€ ;
- Un nombre moyen de salariés employés au cours de l’exercice de 250.
Les PME cotées sur le marché réglementé européen (vague 3), ainsi que certaines grandes entreprises non européennes (vague 4) entrent également dans le champ d’application de la CSRD. Cependant, la loi omnibus prévoit d’apporter de nombreuses modifications à la directive actuelle. Parmi ses propositions, on peut citer l’exclusion du périmètre de reporting de la CSRD de toutes les entreprises de moins de 1 000 salariés. Cette mesure reviendrait à sortir environ 80 % des sociétés du cadre actuel de la directive.
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Comment réaliser une analyse de double matérialité en 4 étapes ?
L’analyse de double matérialité est décrite dans la norme ESRS 1 - Exigences Générales, présentée dans le règlement délégué (UE) 2023/2772. Pour déterminer les informations à inclure dans leur rapport de durabilité, les entreprises doivent adopter une approche en entonnoir.
Il leur faut d’abord déterminer les questions de durabilité de chaque ESRS qui sont pertinentes vis-à-vis de l’entreprise. Dans un second temps, l’analyse de double matérialité permet d’identifier les données et informations à publier. Pour cela, il suffit de se référer aux exigences de publication de chaque question de durabilité jugée matérielle.
Les normes d’information en matière de durabilité n’imposent pas de processus particulier pour réaliser cette analyse. Voici toutefois une suggestion de méthode pour effectuer son étude de double matérialité en 4 étapes.
1 – Améliorer la compréhension du contexte de l’entreprise
Avant toute analyse de double matérialité, il est important pour l’entreprise d’analyser l’ensemble de ses activités. Cela comprend ses propres opérations, mais aussi sa chaîne de valeur ou encore ses relations d’affaires. À ce stade, il est également nécessaire d’identifier précisément les différentes parties prenantes de la société. Enfin, cette étape préliminaire comprend une étude rigoureuse des normes ESRS actuellement en vigueur et des benchmarks de pairs disponibles.
2 – Déterminer les questions de durabilité les plus pertinentes pour l’entreprise
Au vu du nombre de questions de durabilité listées par les ESRS, il est important de réaliser une pré-sélection des enjeux qui semblent pertinents. Pour cela, l’entreprise ou le bureau d’études peut se référer au tableau AR16 de la norme ESRS 1 (appendice A). Le choix des personnes consultées à partir de cette étape est crucial pour réussir son analyse de double matérialité.
La société doit sélectionner des salariés qui possèdent un profil pertinent vis-à-vis des impacts et des effets financiers étudiés. En confrontant les points de vue de différentes fonctions, il est possible d’obtenir une liste plus objective des questions de durabilité pertinentes. Il est également intéressant de consulter les représentants des travailleurs durant cette phase.
3 – Identifier les questions de durabilité matérielles à partir de la pré-sélection
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L’analyse de double matérialité se réalise sans prendre en compte les éventuelles actions mises en œuvre par l’entreprise pour traiter les enjeux étudiés. Seules des actions qui génèrent à leur tour des questions de durabilité peuvent échapper à cette règle.
À partir des enjeux de durabilité jugés pertinents pour l’entreprise, il faut maintenant évaluer lesquels sont réellement matériels. Cette étape rentre dans le cœur de l’analyse de double matérialité. Dans son guide sur les ESRS, l’Autorité des normes comptables (ANC) énumère les différents éléments à prendre en compte lors de cette phase. Voici les critères à étudier pour déterminer si une question de durabilité est matérielle du point de vue des impacts, des risques et des opportunités :
- Impacts négatifs (matérialité d’impact) : gravité de l’impact (ampleur, étendue, caractère irrémédiable ou non) et probabilité d’occurrence, si l’impact est potentiel. La gravité de l’impact prévaut systématiquement sur sa probabilité d’occurrence, dans le cas d’impacts négatifs potentiels sur les droits humains.
- Impacts positifs (matérialité d’impact) : ampleur, étendue de l’impact et probabilité d’occurrence, pour les impacts potentiels.
- Risques et opportunités (matérialité financière) : ampleur des conséquences du risque ou de l’opportunité et probabilité d’occurrence.
Il est conseillé, lorsque cela est possible et pertinent, de traduire ces critères en seuils quantitatifs ou qualitatifs. Pour ce faire, il est crucial d’utiliser les données disponibles les plus fiables. Dans certains cas, il est possible que les questions de durabilité des ESRS ne couvrent pas tous les enjeux matériels d’une société. Il est alors possible de compléter sa liste avec des questions de durabilité spécifiques au profil de l’entreprise.
4 – Passer de la matérialité des questions de durabilité à celle des informations
L’ASTUCE HELLIO
Pour une explication plus détaillée sur la réalisation de cette analyse, il est possible de suivre les recommandations du guide de l’EFRAG sur la double matérialité.
Une fois qu’une entreprise dispose d’une liste définitive de ses enjeux de durabilité matériels, elle doit déterminer les informations à communiquer. En effet, il n’est pas forcément nécessaire de répondre à toutes les exigences de publication d’une question de durabilité.
La société doit ainsi évaluer quels points de données sont pertinents, vis-à-vis de ses activités. Plus largement, toute information qui semble répondre aux besoins des lecteurs potentiels du rapport, comme les investisseurs, est à intégrer à la déclaration. Après avoir terminé leur analyse de double matérialité, les entreprises peuvent commencer la rédaction de leur rapport de durabilité.
Comment construire sa matrice de double matérialité ?
Une fois les sujets et les informations matériels recensés, il est nécessaire de mettre en forme les résultats de l’analyse pour préparer son reporting. La matrice de double matérialité constitue le format le plus utilisé pour illustrer les conclusions de l’étude de double matérialité. Cette figure est employée depuis des années dans le reporting ESG associé à la matérialité simple. Dans le cas de la double matérialité, on représente en abscisse la matérialité financière et en ordonnée la matérialité d’impact.
Chaque matrice de double matérialité est unique et s’adapte aux enjeux spécifiques de l’organisation qui la réalise. Voici, à titre d’exemple, la matrice de double matérialité de 2023 du groupe Orange :
Source : site de publication des rapports annuels intégrés d’Orange
Comme on peut le voir, 25 enjeux ont été identifiés. Parmi ces questions de durabilité, 12 sont considérées comme matérielles par le groupe (partie orangée, entre 3 et 4). Voici comment lire cette matrice de double matérialité :
- En haut à droite : les questions de durabilité constituant des priorités stratégiques. Elles sont très importantes pour la performance financière de l’entreprise, ainsi que pour l’environnement et/ou la population. Les émissions de gaz à effet de serre sont un bon exemple d’enjeu doublement matériel.
- En haut à gauche : les questions de durabilité à fort impact sur l’environnement et/ou la population, sans incidence immédiate sur la performance financière de l’entreprise. Pour Orange, l’innovation et la recherche éthique et responsable entrent dans cette catégorie de sujets matériels d’impacts.
- En bas à droite : les questions de durabilité à fort impact financier, mais peu importantes du point de vue de l’environnement et de la population. Elles correspondent aux résultats traditionnels d’une analyse de matérialité financière simple.
- En bas à gauche : les questions de durabilité ayant un faible impact financier, environnemental et humain. Elles sont considérées comme non matérielles et ne sont pas à intégrer dans le rapport de durabilité. Il peut toutefois s’avérer pertinent pour une entreprise de les prendre en compte dans sa stratégie ESG.
NB : Dans la matrice d’Orange, les lettres suivies d’un chiffre renvoient à la norme ESRS associée à la question de durabilité environnementale (E), sociale (S) ou de gouvernance (G).
Ce qu’il faut retenir sur la double matérialité
La double matérialité constitue aujourd’hui la meilleure approche pour déterminer les enjeux ESG importants d’une entreprise. Au cœur de la directive CSRD, elle permet aux sociétés concernées de déterminer les enjeux et informations à intégrer à leur rapport de durabilité. En incluant les impacts des entreprises sur l’environnement et la population, la double matérialité améliore la transparence et responsabilise ces acteurs.
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